Un morceau de bravoure de la littérature française : La tirade de Don Diègue

 

Les passages célèbres du Cid de Corneille qu’on répétait à voix basse avec une voix d’outre-tombe ! on les avait appris par cœur au Lycée, et on les murmurait en même temps que les Comédiens Français – de la Comédie Française. J’avais eu la chance, c’était un privilège en somme, d’avoir un abonnement sur 3 ans à la Comédie Française dans les années 1959 à 1961. J’ai vu ainsi les plus grands comédiens de l’époque dont Jean Piat qui joue toujours… et qui avait joué un Cyrano de Bergerac unique en son genre. J’ai pu voir des pièces magnifiques avec des comédiens à la diction parfaite à l’époque, pas de précipitation, pas trop d’emphase comme à l’époque précédente où on pouvait rouler les r, là on était avec une diction sobre, une mise en scène ravissante, riche, détaillée, et pas moderne comme on voit maintenant, avec des jolis meubles, de jolis décors, de magnifiques costumes d’époque et pas remis au goût du jour.

J’aime les costumes de l’époque de l’auteur et non les costumes à volonté contemporaine pour faire passer la pièce. C’est une option que j’aie et que je conserve. J’aime les mises en scène qui me parlent et qui sont historiques en costumes . Voilà je l’ai dit. J’aime la beauté de la culture que j’aie reçue et non pas l’adaptation outrancière qui a été de mise après 1968 où tout a changé.

Certes des adaptations légères, je concède qu’elles soient acceptables , mais j’aime l’esthétique et la mise en scène de théâtre qui la conserve avec de jolis décors et non pas des assemblages de matériau grisâtre, sordide, digne des coulisses et des costumes de ville plus ou moins bien réussis. J’aime une pièce dans son jus. j’accepte certes, j’y suis contrainte de jolies adaptations mais avec des réserves.

Cependant ces adaptations permettent de rendre populaires des textes destinés avant à une élite ou à une minorité. Là on veut permettre au plus grand nombre d’accéder au théâtre.  C’est un aspect qu’il faudrait développer et discuter.  Vous avez la possibilité de me dire votre point de vue puisque je vous ai donné le mien. Vous  réfléchirez vraiment à l’importance de la mise en scène et à ses prises de position avant-gardistes ou historiques.   De même pour des films d’oeuvres historiques qu’on adapterait de façon très personnalisée, il faudrait que vous ayez un point de vue sur la question en développant des exemples précis pour une dissertation sur les différentes possibilités de mise en scène.

Revenons au passage du Cid  que je vous propose. Voici un passage le plus fameux ( en plus des stances du Cid )  : Imaginez ce Vieillard, le Père du Cid,  enveloppé de sa cape noire…

Un noble vieillard, Don Diègue, père de Don Rodrigue, vieillard illustre regrette sa jeunesse et sa force. Il s’adresse ainsi à son épée, à son fer qui l’a trahi …lui, jadis si glorieux…Il est alors bien malheureux. Tirade admirable de la Vieillesse qui est arrivée trop vite et qui trahit ce Grand d’Espagne qui ne se découvrait pas devant le roi. 

 

O rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie !

Que n’ai je donc vécu que pour cette infamie ?

Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers

Que pour voir en un jour flétrir  tant de lauriers ?

Mon bras qu’avec respect toute l’Espagne admire,

Mon bras qui tant de fois a sauvé cet empire

Tant de fois affermi le trône de son roi,

Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?

O cruel souvenir de ma gloire passée.

Œuvre de tant de jours en un jour effacée !

Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !

Précipice élevé d’où tombe mon honneur !

Faut-il de votre éclat voir triompher le Comte

Et mourir sans vengeance ou mourir dans la honte ?

Comte, sois de mon prince à présent gouverneur :

Ce haut rang n’admet point un homme sans honneur !

Et ton jaloux orgueil, par cet affront insigne,

Malgré le choix du Roi, m’en a su rendre indigne.

Et toi, de mes exploits glorieux instrument,

Mais d’un corps tout de glace inutile ornement,

Fer, jadis tant à craindre, et qui, dans cette offense,

M’as servi de parade et non pas de défense,

Va, quitte désormais le dernier des humains,

Passe, pour me venger, en de meilleures mains.

 

Acte 1, sc. 4

Il vient de recevoir l’injure de Don Gormas : le Comte, père de Chimène, que son fils Rodrigue aime. Rodrigue devra donc défendre l’honneur de son père et s’éloigner de Chimène …dont il tuera le père… conflit cornélien s’il en est un.

Vous étudierez avec vos élèves  la tristesse de ce vieillard

Qui s’adresse à son épée, à son fer, à son bras…

Lui si célèbre, il ne peut plus  combattre .

Vous ferez remarquez les répétitions, les oppositions … et vous faites formuler les élèves sur ces grands moments d’émotion et de lyrisme du théâtre français.

 

La jeunesse a fui. Il est un homme sans honneur !

Des oppositions tout ou rien ; tant de jours et en un jour… effacée.

Le conflit, le dilemme cornélien est posé dans une phrase à la symétrie parfaite.

Et mourir sans vengeance ou mourir dans la honte ?

Nous serons sensibles à des expressions fortes :

Mon Bras… Fer

Le dernier des humains : de se traiter ainsi pour un tel personnage n’est-ce pas atteindre la limite de son être, de sa dignité perdue.

Nous étudierons dans ces passages les figures de style. Ce sera un bon exercice à leurs propos.

 

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