3 textes à lire ou à apprendre : Baudelaire, Nerval, Apollinaire

L’invitation au voyage extrait des Fleurs du Mal (1857) de Baudelaire (1821-1867)

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux
Brillant à travers leurs larmes.

Là tout n’est qu’ordre et beauté
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants
Polis par les ans
Décoreraient notre chambre
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds
La splendeur orientale
Tout y parlerait
A l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là tout n’est qu’ordre et beauté
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or :
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là tout n’est qu’ordre et beauté
Luxe, calme et volupté.

 

 

Jean-Baptiste-Camille_Corot_-_Souvenir_of_Mortefontaine_-_WGA5292

                                            Jean-Baptiste Corot : Souvenir de Mortefontaine

Fantaisie

« Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets !

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit…
C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit.

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde, aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue… et dont je me souviens ! »

Gérard de Nerval (1808-1855) Odelettes, 1853

au v. 2 on prononcera Wèbre.

 

 

Le Pont Mirabeau

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains
restons face à face
Tandis que sous 
le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
 comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé 
ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure

Guillaume Apollinaire(1880-1918)
Alcools, 1913

 

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